par Liza Porteus Viana pour Intellectual Property Watch
Bien qu’en apparence, la réforme des brevets soit entrée dans une impasse au Congrès américain, l’administration Bush intensifie ses efforts pour qu’un projet de loi soit achevé au cours de la période de séances actuelles au Congrès.
Cette semaine, le Secrétaire américain au Commerce, M. Carlos Gutierrez, s’est exprimé à Silicon Valley (Californie) et a reconnu que les négociations sur la Patent Reform Act (S 1145) ont échoué au Sénat. Au cœur des désaccords: l’indemnisation à offrir aux titulaires de brevets en cas d’infraction. Les sénateurs doivent relever le défi de « rassembler les volontés pour parvenir à un compromis et de le faire arriver jusque sur le bureau du Président », a-t-il indiqué.
« Nous pouvons faire mieux. Je suis convaincu qu’il y a un chemin à suivre pour faire approuver une législation à même d’améliorer notre système de brevets – que le monde nous envie déjà – et pour aborder bon nombre de questions soulevées par les titulaires de brevets ainsi que par les industries », a ajouté M. Gutierrez. Il a tenu des propos similaires dans un éditorial publié dans « The San Jose Mercury News Sunday. »
Le projet de loi S 1145 a officiellement été retiré du programme du Sénat et n’y sera pas ajouté avant que le Sénateur Patrick Leahy (démocrate, Vermont), président de la commission des affaires judiciaires, indique à Harry Reid (démocrate, Nevada), le chef de la majorité démocrate au Sénat américain, qu’un accord a été trouvé concernant la langue. D’autres points inscrits à l’agenda du Sénat doivent être abordés avant la réforme des brevets, jugée comme une priorité par M. Reid au mois de janvier dernier. La Chambre a approuvé un projet similaire l’automne dernier.
« Je ne sais pas exactement quand, mais il est probable qu’il en soit à nouveau question s’ils parviennent à un accord », a indiqué une porte-parole de M. Reid à Intellectual Property Watch. « La porte n’est pas fermée. »
« Nous n’avons pas été capables de parvenir à cet accord final », a ajouté un assistant judiciaire au Sénat. « Nous ne sommes pas encore prêts pour une réforme du système des brevets… [mais] cette réforme n’est pas passée à la trappe pour autant ».
Le Sénateur Patrick Leahy et le Sénateur Arlen Specter (républicain, Pennsylvanie), sont encore en train de débattre du texte du projet de loi, en particulier des dommages-intérêts. Jusqu’à maintenant, aucune date n’a été arrêtée pour en parler.
La commission des affaires judiciaires gère d’autres questions liées à la propriété intellectuelle, comme la législation concernant les œuvres orphelines proposée par M. Leahy (examinée jeudi), les droits de représentation et renforcement de propriété intellectuelle que le président doit examiner au cours de cette période de sessions.
Le 15 mai dernier, la commission des affaires judiciaires a voté à l’unanimité en faveur d’une législation qui encourage l’emploi d’«œuvres orphelines», du matériel qui pourrait être protégé par droit d’auteur mais dont les propriétaires ne peuvent pas être identifiés ou retrouvés. Les sénateurs Patrick Leahy et Orrin Hatch (républicain, Utah) ont introduit cette législation le mois dernier.
Tandis que Specter et Leahy ont cherché à aplanir leurs différends sur la réforme des brevets jusqu’au mois dernier, «je ne crois pas que nous y travaillions d’arrache-pied en ce moment» a indiqué l’assistant judiciaire. Il a cependant insisté sur le fait que cette question demeurait prioritaire.
L’Office des brevets des Etats-Unis (USPTO) a pour sa part fait savoir qu’il «est toujours impatient de travailler avec le Congrès pour approuver un projet de loi qui promouvra l’innovation dans tous les modèles d’entreprises.» D’après une source, les membres de l’agence continuent de se réunir pour examiner des questions techniques.
Les groupes de pression prêts à plus
Certains groupes de l’industrie ont continué les discussions entre eux et avec certains bureaux du Sénat. Parmi les thèmes abordés : la formation, l’emploi, les technologies avancées, l’énergie, la biotechnologie ainsi qu’une série d’autres thèmes.
Le groupe «Coalition for 21st Century Patent Reform» (Coalition pour une réforme du système des brevets au XXIe siècle), qui comprend 40 entreprises mondiales dont 3M, Caterpillar Inc., General Electric, Procter & Gamble et Johnson & Johnson, fait partie des nombreux groupes qui ont collaboré avec les conseillers du Congrès sur la rédaction du texte, même après la dispute publique du mois dernier entre Patrick Leahy et Specter. Entre-temps, les esprits se sont calmés.
« L’intensité des activités pour essayer de concrétiser certains points s’est évanoui et je pense sincèrement que nous ne sommes pas mécontents de vivre une période d’accalmie relative », a indiqué Bob Armitage, vice-président senior et conseiller général pour Eli Lilly ainsi que membre du comité de direction de la coalition.
D’après M. Armitage, son groupe ne pense pas que le projet de loi actuel ait trouvé « la formule adéquate », et ne souhaite pas inclure de dispositions concernant les dommages-intérêts.
«En définitive, nous voulons voir apparaître un bon projet de loi qui réponde aux besoins de l’ensemble des différents acteurs impliqués dans le système des brevets. Tant qu’un tel projet n’existe pas, nous préférons qu’il n’y ait aucun projet», a-t-il ajouté.
La coalition est extrêmement préoccupée par l’exigence appelée «soustraction de l’état antérieur de la technique», d’après laquelle la Cour devrait soustraire la valeur de tout état antérieur de la technique utilisée dans l’invention sur laquelle se base la plainte contre celui qui a contrevenu à la loi.
«Alexander Graham Bell a inventé le téléphone en se servant de fils qui existaient déjà…d’orateurs qui existaient déjà, du courant électrique qui existait déjà…et en fin de compte, il n’a rien fourni qui ne faisait pas partie de l’art antérieur», a expliqué M. Armitage. « Si nous soustrayons l’art antérieur, rien de que Alexander Graham Bell a inventé n’était nouveau.»
D’après Herb Wamsley, directeur exécutif de «Intellectual Property Owners Association», pour qu’un projet de loi soit approuvé, il faudrait parvenir à un consensus sur un texte réduit qui ne traite pas des dommages-intérêts, ni de certaines autres dispositions.
«A notre connaissance, il n’existe pour l’instant aucun accord sur les dommages-intérêts ou sur un projet de loi réduit», a indiqué Wamsley. «Nous pensons cependant que de nombreuses personnes ont investi des milliers d’heures de travail dans ce projet de loi et qu’une réforme sensée du système des brevets cette année encore serait accueillie très favorablement, l’intérêt des acteurs concernés étant toujours élevé.»
Il se peut que l’on en apprenne plus «au cours des prochaines semaines» quant à une éventuelle réforme pour cette année, a-t-il ajouté. «Le temps est compté».
Eric Thomas, porte-parole d’ «Innovation Alliance», un groupe qui représente les entreprises technologiques et titulaires d’un grand nombre de brevets, a également noté que «certains changements significatifs seraient réellement nécessaires pour obtenir l’accord de l’opposition. Pour l’heure, je ne sais pas si tel sera le cas.»
«Il est évident que le chemin est parsemé d’embûches», a-t-il indiqué. «Est-ce pour autant que ce projet est enterré ? Nous ne le pensons pas. »
La «Coalition on Patent Fairness», qui représente les télécommunications, l’énergie, les ordinateurs et d’autres secteurs des hautes technologies, a insisté sur le fait que les défenseurs du projet de loi ont fait de leur mieux pour faire des concessions aux opposants.
Concernant la partie administrative, M. Gutierrez a indiqué que le projet devrait inclure les éléments suivants: un processus de révision postérieur à l’octroi du brevet pour aider à protéger les titulaires de brevet de procès futiles; une exigence selon laquelle les applications de brevet de plus haute qualité soient présentées en première ligne; ainsi que des sanctions pour les dépositaires présentant des informations sous un faux jour à l’USPTO. Si tous ces éléments sont inclus, «je pense que nous parviendrons à un bon projet de loi »
« Bien entendu, cela ne correspond pas à la définition d’un projet de loi parfait », a-t-il indiqué. «Mais je pense qu’un tel accord reflèterait une amélioration considérable – et nous savons tous à quel point il est important de ne pas laisser le mieux être l’ennemi du bien. »
