ACAC : négociations houleuses cette semaine à Genève – les États-Unis envisagent une ratification cette année

Monika Ermert pour Intellectual Property Watch
Selon un représentant de la Commission européenne, des négociations formelles sur l’Accord commercial anti-contrefaçon (ACAC) commencent cette semaine à Genève, et ce malgré la parution d’un document ayant filtré d’un bureau commercial américain et ayant suscité des critiques vis-à-vis du projet d’accord. En effet, la publication la semaine dernière sur Wikileaks d’un document d’analyse rédigé par un représentant des Etats-Unis pour les questions commerciales au sujet de l’ACAC a donné lieu à des critiques à l’encontre du nouvel accord proposé par les États-Unis, le Japon, l’Union européenne (UE) et la Suisse, qui jusqu’à présent n’a été débattu qu’à huis clos.

Selon certaines informations révélées par le Ministère des Affaires étrangères et du commerce australien, également partenaire dans les négociations, l’ACAC vise à établir « une nouvelle norme en matière d’application des droits de propriété intellectuelle afin de lutter contre les nombreux échanges commerciaux de contrefaçons et de marchandises pirates dans le monde ». Une mise en garde a été lancée par plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) contre une tendance à « la recherche du plus accommodant » en matière d’application des droits de propriété intellectuelle au niveau mondial.

Selon le Ministère australien des Affaires étrangères et du commerce, qui s’est montré plus expansif que les autres gouvernements sur le sujet, les propositions formulées dans le document d’analyse récemment dévoilé datent majoritairement de novembre 2007, à part quelques mises à jour faites le 4 février 2008. L’idée d’un accord international sur l’application des droits de propriété intellectuelle n’est pas nouvelle, a écrit le ministère australien. Elle a été soulevée par le Japon lors du Sommet du G8 de Gleneagles en 2005 et débattue lors du Congrès mondial sur la lutte contre la contrefaçon en 2007 et 2008. « Il n’est pas question que l’ACAC soit ratifié au Sommet du G8 au Japon en juillet », a cependant déclaré un représentant de l’UE. « Ce n’est qu’une rumeur », a-t-il ajouté.

Propriété intellectuelle à l’ordre du jour du G8 mais ratification de l’ACAC prévue pour la fin de l’année

Les négociations auront lieu les 3 et 4 juin dans un lieu qui n’a pas été dévoilé.

Selon certains spécialistes, il aurait été ambitieux de ratifier l’ACAC au mois de juillet, alors qu’aucun projet de traité n’a été rédigé mis à part le document d’analyse. Or pour l’UE, le document final doit avoir été approuvé non seulement par la Commission mais également par le Conseil. Par conséquent, selon le représentant de la Commission, la signature de l’accord semble presque impossible, en tout cas par certains partenaires européens du groupe de négociation.

« Nous avons obtenu un mandat de négociation [le 14 avril] », a précisé le représentant de la Commission. Néanmoins, pour que l’ACAC soit définitivement approuvé, le Comité de l’article 133 du Conseil européen et le Conseil lui-même devront donner leur accord. « Les négociations impliqueront la Commission et les États membres de l’UE, tout particulièrement celui qui assure la présidence », a-t-il ajouté. La Slovénie passera le flambeau de la présidence de l’UE à la France le 1er juillet 2008.

D’après un représentant américain au commerce, les négociations devraient aboutir cette année. « Les États-Unis feront tout leur possible pour que l’accord soit signé avant fin 2008 », a-t-il déclaré. Tout comme le représentant de la Commission, le représentant américain a précisé qu’il ne s’attendait pas à une ratification au moment du G8. « Le G8 et l’ACAC sont deux choses différentes », a-t-il ajouté.

Néanmoins, la propriété intellectuelle est une nouvelle fois à l’ordre du jour provisoire du sommet du G8, qui se tiendra au Japon. Si l’ACAC doit être signé en 2008, le sujet sera certainement abordé lors de négociations bilatérales entre les partenaires présents. Les membres du G8 sont l’Allemagne, le Canada, les États-Unis, la France, l’Italie, le Japon, le Royaume-Uni et la Russie.

Coopération, mise en application et cadre juridique

Le document d’analyse publié sur Wikileaks laisse un certain nombre de questions sans réponse. Il présente les principaux types de dispositions de l’ACAC : des mesures de coopération internationale, des mesures sur la mise en application des droits de propriété intellectuelle ainsi qu’un cadre juridique.

Parmi les éléments relatifs à la coopération, on trouve : une coopération internationale entre les différents organismes chargés de la mise en application des droits de propriété intellectuelle, notamment par le biais d’actions communes, un échange d’informations entre les autorités nationales et un renforcement des capacités ainsi qu’une aide technique visant à améliorer cette mise en application.

Les méthodes de mise en application à harmoniser sont la formation de groupes consultatifs publics ou privés, formels ou informels ; la création d’organismes spécialisés dans la mise en application des droits de propriété intellectuelle ; le partage des informations sur les modes de mise en application avec les partenaires étrangers et le grand public, et l’instauration d’organes de coordination en vue de faciliter les actions communes.

Pour ce qui est du cadre juridique, des voies d’exécution sont envisagées en droit pénal comme en droit civil, ainsi que des mesures à la frontière de grande portée comme le droit pour les autorités douanières d’interrompre d’office l’import, l’export et le transbordement de marchandises suspectées d’être contrefaites, la possibilité pour les titulaires de droits de demander le barrage des frontières pour des marchandises suspectes et, pour finir, « le droit des autorités à imposer des peines exemplaires ».

Des dispositions particulières ont été proposées dans le document d’analyse concernant la diffusion sur Internet et les technologies de l’information. Le document recommande la mise en place d’un système juridique qui, d’un côté, limite la responsabilité des fournisseurs de services Internet et, d’un autre côté, instaure une coopération entre ces derniers et les titulaires de droits. Par exemple, les données relatives à l’identité de contrefacteurs présumés devraient être révélées au moyen d’une déclaration de « contrefaçon présumée ». Par ailleurs, il est recommandé de trouver des solutions pour lutter contre le contournement des mesures techniques de protection employées par les titulaires de droits d’auteur, ainsi que contre le trafic de ces dispositifs de contournement.

Enfin, le document propose que la résolution des problèmes liés à la mise en application des droits de propriété intellectuelle soit supervisée par un comité composé des signataires de l’ACAC.

Le groupe de négociation n’a donné aucun détail sur ces dispositions. À la question du choix de la structure du comité de contrôle, le représentant des États-Unis pour les questions commerciales a répondu que « les mécanismes adaptés à une coopération interne en continu sont étudiés actuellement. Nous discutons encore de ce problème avec les autres partenaires de l’ACAC ». Les renseignements actuels ne permettent pas de savoir clairement si un projet de proposition plus détaillé existe. « Le texte de l’accord est en phase d’élaboration », a ajouté le représentant américain.

Critiques de la part des ONG

L’expert juridique David Fewer, Conseiller du personnel à la Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada de l’Université d’Ottawa, a déclaré au quotidien Ottawa Citizen que le document d’analyse ressemblait fortement à une liste des entreprises Hollywoodiennes à l’attention du Père Noël.

Le groupe de défense de la santé Knowledge Ecology International, dans un rapport adressé au représentant des États-Unis pour les questions commerciales, mettait ce dernier en garde contre le manque de clarté et la confusion existant entre des termes clés comme « contrefaçon » ou « piratage » en s’interrogeant : « lorsque Microsoft insiste sur son droit de ne pas respecter le brevet z4 pour pouvoir avoir recours à une technologie DRM qui lui permet de protéger ses applications logicielles d’une utilisation non autorisée, l’entreprise est-elle accusée de piratage ? »

De même, « la Commission américaine du commerce international se rend-elle complice de piratage lorsqu’elle refuse d’empêcher l’import de téléphones portables utilisant des circuits à semi-conducteur non autorisés ? Les laboratoires Abbot sont-ils accusés de piratage pour violation de brevets appliqués à un test de génotypage du virus de l’hépatite C pour lequel ils souhaitent obtenir une licence obligatoire ? », continuait le rapport.

Les utilisateurs des sites Internet de réseau social MySpace, Facebook ou Youtube pourraient également être accusés de fraude, la preuve de l’utilisation non autorisée de contenu sur ces plates-formes étant irréfutable. Il en va de même pour les représentants américains au commerce, qui ont en leur possession des copies et des articles soumis à des droits d’auteur partagés sur la contrefaçon de marchandises, a conclu le groupe de défense.

IP Justice a fortement critiqué la tentative visant à maintenir les pays en développement à l’écart des négociations. Selon l’organisation, « après la négociation des priorités et du champ d’application du traité multilatéral par les quelques pays invités à prendre part aux préliminaires, le texte de l’ACAC sera « bloqué ». Les autres pays, invités ensuite à venir ratifier l’accord, ne seront plus en mesure de renégocier ses dispositions unilatérales ». La signature de l’ACAC est dite « volontaire », mais la refuser semble difficile une fois les négociations terminées.

Petra Buhr, d’IP Justice, a évoqué la désignation de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) ou de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) comme forum des négociations internationales concernant la propriété intellectuelle. Cependant, le représentant des États-Unis pour les questions commerciales a déclaré : « nous pensons que le concept d’un accord indépendant est une solution pertinente pour la poursuite de ce projet avec les pays intéressés. Il n’empêche que nous soutenons le travail remarquable de l’OMC et de l’OMPI en matière d’application des droits de propriété intellectuelle ».

Manque de transparence

Malgré un manque de détails juridiques relatifs aux différentes dispositions de l’ACAC, les critiques, les spécialistes de la propriété intellectuelle et quelques hommes politiques sont d’accord pour dénoncer le manque de transparence du processus.

« Je trouve inacceptable que la négociation d’accords internationaux se fasse à huis clos, alors que le Parlement est actuellement en train d’élaborer une législation sur le même thème au travers d’une procédure de codécision », a déclaré Eva Lichtenberger, eurodéputée du parti écologiste. « Il est contraire aux règles de l’Europe de léser la législation européenne de cette manière (…) et cela nuit à notre processus démocratique », a-t-elle ajouté. Le Président du Parlement européen a dernièrement validé une directive soutenue par madame Lichtenberger, excluant les importations parallèles des actes passibles de sanctions pénales. Il s’agit de la « Directive relative aux mesures pénales visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle ».

Jusqu’à aujourd’hui le Parlement n’a pas été tenu informé des négociations. Malgré le renforcement de son rôle grâce au traité de Lisbonne, et au regard du statu quo actuel, on s’attend à ce qu’il ne soit finalement « consulté » qu’une fois l’ACAC finalisé.

Interrogations en Europe

Les négociations entourant l’ACAC soulèvent des questions parmi les pays membres de l’UE. La directive européenne sur la mise en application des droits de propriété intellectuelle appelée IPRED2 constitue la suite des mesures civiles de lutte contre le piratage et le non respect des droits de propriété intellectuelle incluses dans la directive IPRED, déjà validée. Ensemble, ces directives européennes ont une portée semblable à celle du projet de l’ACAC en matière d’application des droits de propriété intellectuelle.

Les spécialistes européens de la propriété intellectuelle déclarent ne pas savoir comment l’ACAC pourrait concilier des normes européennes de protection des données et des dispositions permettant de saisir des données personnelles selon des critères revus à la hausse.

« D’une manière générale, la Commission européenne fait tout son possible pour que les négociations de traités bilatéraux ou plurilatéraux respectent les normes existantes au niveau européen », a répondu le Ministère de la justice allemand aux questions de l’OMPI. « Il n’existe pas de norme en matière de sanctions pénales au niveau de l’Europe ».

Étant donné que la directive IPRED2 était retardée par des questions de compétence institutionnelle et par des modifications en termes de compétence, le traité de Lisbonne n’a jamais déterminé le contenu de la réglementation européenne en matière de sanctions pénales punissant le piratage et le non respect des droits de propriété intellectuelle. « Une incompatibilité ne peut donc pas avoir lieu à ce sujet », a conclu le ministère allemand.

Selon ce dernier, les négociations de l’ACAC bénéficient du soutien du gouvernement allemand. L’Allemagne possédant déjà une solide protection des droits de propriété intellectuelle, la mise en place d’une réglementation juste lui paraît plus importante que la rapidité avec laquelle l’accord sera ratifié.

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