Par William New
Le 3 octobre dernier, les assemblées annuelles des États membres de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) se sont achevées dans un esprit de coopération inhabituel, tout en rappelant le travail normatif et administratif difficile qui devra être accompli l’an prochain.
À l’Assemblée générale de l’OMPI qui s’est tenue du 25 septembre au 3 octobre 2006, les 183 États membres se sont mis d’accord sur des questions délicates du point de vue politique, notamment sur la proposition d’un traité pour la protection des organismes de radiodiffusion, l’harmonisation des législations en matière de brevet et le plan d’action de l’OMPI pour le développement. En réalité, les accords auxquels ils sont parvenus relèvent essentiellement de compromis sur la manière de poursuivre les débats sur les profondes divergences qui subsistent dans ces trois domaines.
M. Enrique Manalo, Ambassadeur des Philippines à Genève et Président de l’Assemblée générale, a instamment prié les États membres de « tirer parti de l’état d’esprit ambiant, caractérisé par l’ardeur au travail et la coopération, à l’origine du succès de l’Assemblée générale ». Il a en outre déclaré que les Membres devraient s’accorder sur autant de propositions que possible s’agissant du plan d’action pour le développement, résoudre les problèmes qui subsistent au sujet de la proposition de traité sur la radiodiffusion et prendre part aux consultations qu’il tiendra sur un futur programme de travail pour le Comité de l’OMPI sur l’harmonisation des législations en matière de brevet.
M. Manolo a ajouté qu’en 2007, un travail considérable devra également être accompli pour traiter du budget biennal de l’OMPI et de la fin du mandat de deux ans du Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore.
Durant la semaine, les États membres ont également débattu de mesures supplémentaires pour renforcer leurs fonctions de supervision de la gestion budgétaire et de l’administration de l’OMPI. La mise en œuvre des recommandations présentées en 2005 à l’OMPI par le Corps commun d’inspection des Nations Unies fait encore l’objet d’un examen approfondi de la part des États membres. Le Corps commun d’inspection avait en effet relevé un certain nombre de problèmes s’agissant de la gestion financière, des pratiques en matière de personnel et de la supervision, et avait formulé plusieurs suggestions (IPW Monthly Reporter, Vol. 2, No. 4).
D’autres rumeurs – certaines dénuées de tout fondement – se sont propagées ces deux dernières années au sujet de pratiques irrégulières à l’OMPI, notamment la délivrance d’un précédent contrat de construction, la construction d’une piscine pour M. Kamil Idris, Directeur général de l’OMPI, la rectification de l’âge de M. Idris vingt ans après son premier contrat à l’OMPI, des allégations de favoritisme dans la délivrance de contrats de soins de santé à des employés de l’OMPI et des présidents de comités qui ne se conforment pas aux règles de procédure établies, sans compter les autres bruits qui courent encore dans les couloirs de l’organisation.
Les Membres ont souligné l’importance du travail impartial de la Division de l’audit et de la supervision internes et du nouveau Comité d’audit pour assurer le suivi des pratiques en matière de personnel et des questions financières, et en faire rapport au Comité du programme et budget.
L’an dernier, à la suite de problèmes liés à un manque de transparence et au fait que les procédures des Nations Unies ne sont pas appliquées de façon appropriée dans le processus de recrutement à l’OMPI – comme l’a souligné le Corps commun d’inspection -, les Membres ont demandé à l’OMPI de procéder à une évaluation « bureau par bureau » des ressources humaines. Cette évaluation devrait débuter cet automne, selon les documents de l’Assemblée.
Durant l’Assemblée, le Groupe B a présenté un certain nombre d’exigences supplémentaires à l’égard du Secrétariat de l’OMPI, en vue de renforcer davantage l’obligation de rendre des comptes. La proposition qui a finalement été retenue exige que le Secrétariat demande l’avis du Corps commun d’inspection sur la mise en œuvre des recommandations de ce dernier ; collabore avec les États membres à l’évaluation bureau par bureau et à l’examen des politiques et des pratiques de l’OMPI en matière de ressources humaines ; et convoque un groupe de travail du Comité du programme et budget à composition illimitée, afin d’examiner le mandat et le financement du Comité d’audit, ainsi que la Charte de l’audit interne de l’OMPI.
« C’est un moyen de nous assurer que nous effectuons les adaptations qui s’imposent », a expliqué un représentant officiel d’un pays développé, et ceci dans le but d’améliorer la responsabilisation au sein de l’organisation. Ce même représentant a ajouté à cet égard que l’OMPI allait « dans la bonne direction », mais que le chemin serait long.
Une nouvelle construction en 2008 ?
L’Assemblée a en outre pris note de l’état d’avancement du projet de construction d’un grand bâtiment adjacent au siège de l’OMPI. Dans leurs déclarations, certains délégués ont déploré l’ajournement des travaux et l’augmentation des coûts de la construction, mais ont tous donné leur approbation. Le choix de la société qui sera chargée de la direction des travaux est en cours d’évaluation à différents échelons. Le calendrier de la construction a été modifié : la période de construction, prévue initialement d’avril 2007 à juin 2009, se situera entre février 2008 et avril 2010, selon les documents de l’Assemblée. L’estimation des coûts de la construction doit par conséquent être révisée.
M. Khamis Suedi, ancien sous-directeur général de l’OMPI et membre de la délégation de Tanzanie aurait souligné à quel point il était « paradoxal » que les pays du Groupe B, qui avaient qualifié le Corps commun d’inspection d’« entreprise inutile » par le passé, le considèrent aujourd’hui comme un organe « utile ». Autre paradoxe : M. Suedi, un ancien conseiller spécial de M. Idris qui a discrètement quitté ses fonctions début 2005, a été impliqué dans une enquête fédérale en Suisse (qui, ironie du sort, préside le Groupe B) pour avoir reçu près de USD 300 000.-, une somme qui pourrait être liée à la sélection d’une société pour un projet de construction de plusieurs millions de dollars à l’OMPI (IPW Monthly Reporter, vol. 2, n°4). M. Suedi a été appelé à témoigner dans le cadre de l’enquête fédérale portant sur des contrats des Nations Unies, mais n’aurait commis aucune malversation.
À l’issue de la session, une série de pays développés et en développement de premier rang ont exprimé leur souhait que le Président envisage de nouveaux moyens de renforcer les fonctions de supervision interne de l’OMPI, notamment en soutenant une déclaration du Royaume-Uni qui demandait une « évaluation bureau par bureau crédible et rigoureuse » au sein de l’organisation. Préoccupé par le processus de sélection de la société qui sera chargée d’effectuer l’évaluation, le Royaume-Uni a tenté de présenter une proposition à cet égard le 2 octobre dernier. Les pratiques de recrutement à l’OMPI ont été contestées par le passé, tout comme le recrutement de nouveaux employés ces dernières années, au moment où l’organisation connaissait une croissance rapide. Malgré tout, le processus d’évaluation progresse lentement. La proposition du Royaume-Uni, présentée trop tardivement durant la session de neuf jours, a été mise en suspens pour des raisons de procédure. Le Japon, le Canada, l’Italie, les États-Unis, l’Argentine et le Brésil ont soutenu la déclaration du Royaume-Uni.
Accords avec la FAO et la Banque interaméricaine de développement en suspens
Un délégué brésilien a déclaré qu’il espérait que le Président de l’Assemblée envisagerait d’autres moyens de renforcer la participation des membres aux activités administratives de l’OMPI. Le Brésil figurait en tête des pays qui (comme la Bolivie) s’opposaient à l’approbation d’accords négociés par le Secrétariat de l’OMPI avec l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et la Banque interaméricaine de développement. Ces pays craignaient que les États membres de l’OMPI ne soient pas suffisamment associés à l’établissement du plan de travail et que la manière dont l’OMPI conçoit la propriété intellectuelle pourrait s’avérer incompatible avec les missions des autres organisations, qui se concentrent sur l’accès à la nutrition et au développement socioéconomique (www.ip-watch.org, 1er octobre 2006).
Interruption des débats sur l’harmonisation du droit des brevets à l’OMPI en 2007
S’agissant des brevets, les Membres ont décidé de suspendre pour un an les débats sur la question de l’harmonisation après plusieurs années d’âpres négociations. Aucune réunion officielle du Comité permanent de l’OMPI sur le droit des brevets (SCP) n’aura lieu l’an prochain. En revanche, il a été décidé que le Président de l’Assemblée générale tiendrait des consultations au cours du premier semestre de 2007 et recommanderait un programme de travail pour 2008 et 2009 à la prochaine Assemblée générale (voir le texte de la décision sur : www.ip-watch.org, 30 septembre 2006).
Les débats sur l’harmonisation du droit des brevets se poursuivront, non pas au sein de l’OMPI, mais entre les pays développés, qui tenteront d’aplanir les différences qui subsistent entre leurs législations dans quatre domaines. Ces États, désignés sous le nom de « Groupe B-plus » (puisqu’il s’agit des pays développés du Groupe B à l’OMPI et de quelques autres pays membres de l’Organisation européenne des brevets), se réuniront à Tokyo, en novembre, et à Washington, au cours de l’automne 2007.
L’idée d’un Plan d’action pour le développement fait son chemin
Les Membres ont décidé de renouveler le mandat du Comité provisoire sur les propositions relatives à un plan d’action de l’OMPI pour le développement (PCDA) pour une période supplémentaire d’au moins un an. Ce Comité tiendra deux sessions de cinq jours en 2007, dans le cadre desquelles il examinera les 111 propositions présentées en 2004 et 2005, à commencer par les 40 propositions formulées par la République kirghize (voir le texte de la décision sur : www.ip-watch.org, 30 septembre 2006).
Un représentant officiel du Brésil, l’un des auteurs de la proposition présentée par les Amis du développement pour veiller à ce que les activités de l’OMPI tiennent dûment compte des préoccupations des pays en développement, a qualifié l’issue des débats sur le plan d’action pour le développement de résultat « positif », dans la mesure où toutes les propositions seront traitées de façon équitable. Un représentant des États-Unis s’est également montré optimiste, arguant que le processus permettra de garantir que les décisions seront prises sur la base de propositions et que les délibérations ne continueraient pas indéfiniment. Dans l’ensemble, les États-Unis se sont ralliés à l’opinion de l’OMPI, en déclarant que l’organisation a toujours œuvré au développement et que la promotion des droits de propriété intellectuelle favorise le développement, tout en reconnaissant que des progrès peuvent encore être réalisés à cet égard.
Le résultat des débats sur la radiodiffusion laisse la porte ouverte à un traité
En ce qui concerne la radiodiffusion, il a été décidé de convoquer une conférence diplomatique, c’est-à-dire d’engager des négociations formelles sur un traité, fin 2007, si les principales divergences sont aplanies dans le cadre de deux sessions supplémentaires du Comité permanent du droit d’auteur et des droits connexes en janvier et en juin 2007.
L’accord qui s’est dégagé sur la proposition de convoquer une conférence diplomatique l’an prochain, en vue de renforcer les droits des organismes de radiodiffusion, est le fruit d’un compromis et comporte une clause de sauvegarde dans le cas où des désaccords majeurs ne pouvaient pas être surmontés durant l’année qui précède la conférence. Le paragraphe 4 de la décision précise que la conférence diplomatique sera convoquée « si un tel accord est atteint ».
Bon nombre de pays se sont montrés préoccupés par le projet de proposition qui servira de base pour la poursuite des discussions. La convocation d’une conférence diplomatique avait été recommandée au Comité permanent du droit d’auteur et des droits connexes par son président, M. Jukka Liedes, en dépit des critiques formulées par certains pays, notamment les États-Unis et l’Inde (www.ip-watch.org, 9 septembre 2006).
Dans sa décision, l’Assemblée indique qu’en l’absence d’un accord sur les modifications à apporter à la proposition de base révisée, les délibérations ultérieures reprendraient sur la proposition de base révisée. L’Inde a suggéré à l’Assemblée que tout progrès accompli au cours de l’année pourrait être intégré, même en l’absence d’un accord.
Le secteur de la radiodiffusion a suivi de près les négociations tout au long de la semaine, l’issue restant incertaine jusqu’au terme de la session. L’Europe est l’un des principaux défenseurs d’un traité sur la radiodiffusion et M. Tilman Lueder, chef de l’unité Droit d’auteur et économie basée sur la connaissance au sein de la Commission européenne, est intervenu à de nombreuses reprises dans les négociations.
Les représentants du secteur de la radiodiffusion semblaient satisfaits de l’engagement pris de négocier un traité l’an prochain, en dépit des conditions requises. « Je pense que les organismes de radiodiffusion sont satisfaits que l’Assemblée générale ait accepté de convoquer une conférence diplomatique et de fixer des dates précises, du 19 novembre au 7 décembres 2007 », a déclaré dans un entretien M. Ben Ivins de l’Association nationale des organismes de radiodiffusion (États-Unis). Et d’ajouter : « Les organismes de radiodiffusion ont mis tout en œuvre depuis près de neuf ans pour que cette conférence soit convoquée et la nécessité d’actualiser les droits des organismes de radiodiffusion se fait de jour en jour plus pressante à l’ère du numérique ».
« Quand bien même un certain nombre de questions risquent encore de compromettre les négociations sur le traité, les organismes de radiodiffusion sont convaincus que bon nombre de ces questions pourront être résolues durant les sessions [du Comité du droit d’auteur] de janvier et de juin 2007, et que les problèmes qui subsistent pourront être réglés durant la conférence », a précisé M. Ivins.
S’agissant de la diffusion sur le Web, M. Ivins a déclaré que « les organismes de radiodiffusion ne s’opposent pas à la protection de toute technologie pour laquelle une protection s’avère nécessaire à l’échelon international », précisant toutefois : « Si le fait d’inclure la diffusion sur le Web ou sur Internet [selon la terminologie des États-Unis] retardait la conclusion d’un traité sur les droits des organismes de radiodiffusion traditionnelle ou limitait la protection et les droits visés par un tel traité, cela deviendrait problématique pour nous ».
Des représentants des organismes de radiodiffusion ont souligné qu’il convenait de faire une distinction entre la protection du signal et la protection du contenu de la radiodiffusion.
Attribution des postes de direction, traité sur les œuvres audiovisuelles, noms de domaine
L’Assemblée a salué le travail réalisé par les vice-directeurs généraux, Mme Rita Hayes (États-Unis, droit d’auteur et droits connexes) et M. Geoffrey Yu (Singapour, développement), qui quitteront leurs fonctions le 1er décembre prochain. Aucune information n’a permis d’établir ce que Mme Hayes a prévu pour la suite. Après plusieurs années passées au sein de l’OMPI, M. Yu envisage de retourner à Singapour, où il travaillera sans doute avec le Gouvernement. Les nouveaux arrivants, M. Michael Keplinger (États-Unis, droit d’auteur) et M. Narenda Sabharwal (Inde, développement) rejoindront M. Philippe Petit (France, affaires générales et administration) et M. Francis Gurry (Australie, brevets et Centre d’arbitrage), tous deux maintenus dans leurs fonctions. Des représentants de la Chine, du Nigéria et de l’Uruguay occuperont des postes de sous-directeurs généraux (www.ip-watch.org, 1er juin 2006).
Des représentants de pays développés occupent trois des quatre postes de vice-directeurs généraux en dépit du fait qu’ils parlent généralement d’une même voix à l’OMPI, par le biais du Groupe B non régional. Tous les mandats débuteront le 1er décembre 2006 et expireront le 30 novembre 2009, à la fin du mandat de M. Idris.
S’agissant des autres questions de politique, les Membres sont convenus de poursuivre l’an prochain les consultations sur un éventuel traité sur la protection des interprétations et exécutions audiovisuelles, et ont entendu le rapport du Comité consultatif sur l’application des droits, un organe chargé essentiellement de lutter contre la contrefaçon et la piraterie. Les Membres ont également fait le point sur les Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (Principes UDRP), qui permettent d’administrer le nombre croissant de différends concernant des adresses Internet. Le Centre d’arbitrage a commencé à traiter des affaires pour le compte de titulaires de domaines d’organisations internationales et de domaines de pays tels que « .ch » pour la Suisse. Aucun gouvernement ne s’est plaint du fait que l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN) n’a pas encore répondu à une demande d’information concernant la modification des Principes UDRP, une demande formulée il y a quatre ans déjà.
